Morbus Delacroix, le personnage principal de votre livre, est un réalisateur de films d’horreur qui semble exercer une fascination autour de lui. Qui est-il vraiment ?
Je me suis énormément amusé à créer ce personnage, tout comme celui de l’ancien producteur Kenneth Zorn, ou encore du youtubeur Max Renn. De tels personnages sont une bénédiction pour un auteur ; ils offrent tant de possibilités. Morbus Delacroix est en effet un réalisateur devenu culte auprès des jeunes générations avec à son actif cinq films d’horreur qui ont fait scandale en leur temps, mais qui sont vénérés par les fans. Puis, du jour au lendemain, il a arrêté de tourner et s’est reclus avec son épouse Artemisia dans les montagnes, où il refuse toute interview, toute visite. Pourtant, au début du roman, une jeune étudiante en cinéma, Judith Tallandier, se rend dans les Pyrénées pour le rencontrer puisque, à la grande surprise de cette dernière, il a accepté, après un échange de mails, de la recevoir. Morbus, j’insiste, c’est le genre de personnage qu’on adore créer : provocateur, misanthrope, excessif, génial, fou… Le cinéma est toute sa vie. Il a évidemment un côté sombre, inquiétant. Il tient un discours que j’espère passionnant, mais aussi iconoclaste, sur le cinéma : c’est une sorte de Tarantino mâtiné de Kubrick, d’Henri-Georges Clouzot et de William Friedkin, le réalisateur de L’Exorciste (rien que ça).
Est-ce également pour vous l’occasion d’évoquer la littérature de genre, celle du thriller en particulier, et son rapport à la critique ?
Exactement. Quand Morbus Delacroix parle du cinéma de genre et de son rapport à la critique et au cinéma en général, c’est un miroir que je
tends au thriller, genre dans lequel je sévis. Il dit à un moment donné quelque chose comme : « J’ai fini par comprendre que la culture vivante n’est pas la culture de l’intelligentsia et de la bourgeoisie, où même la transgression est attendue, codifiée, immédiatement reconnue comme telle et donc sans véritable potentiel subversif – mais la culture grossière, remuante, viscérale, dérangeante du peuple… » C’est un peu provocateur, un peu excessif, j’en conviens – mais c’est du Morbus Delacroix dans le texte… Le thriller, comme le cinéma d’horreur, fait appel aux émotions des lecteurs ou des spectateurs, mais transmet aussi une certaine vision du monde : un monde sombre, inquiétant, corrompu, dangereux. L’un et l’autre nous disent : non, le monde n’est pas innocent, il a des dents et il mord.
On assiste aujourd’hui, notamment chez les jeunes, à un regain d’intérêt pour les films d’horreur. Aviez-vous anticipé cette tendance et comment l’expliquez-vous ?
Pas seulement chez les jeunes. En 2022, des films comme Smile, X ont reçu un bon accueil critique, et Smile a fait plus d’un million d’entrées en France. L’astrophysicienne britannique Rosemary Coogan, sélectionnée en 2022 pour aller dans l’espace, a déclaré passer de nombreuses soirées à regarder des films d’horreur avec ses amis. J’avoue que, quand j’ai eu l’idée d’Un oeil dans la nuit en 2021, je ne m’attendais pas à ce regain d’intérêt pour le film d’horreur. Je crois que ce que les gens apprécient dans le cinéma d’horreur, c’est son jusqu’au-boutisme, c’est qu’on y voit ce qu’on ne voit nulle part ailleurs, c’est que tout y est permis. Pas d’autocensure, pas de politiquement correct, on y va à fond. C’est un cinéma transgressif, instinctif, viscéral, et surtout qui ne donne pas de leçons. Les gens en ont marre des donneurs de leçons. Mais, je le répète, c’est surtout le genre en général qui m’intéresse, qu’il s’agisse du polar, de la science-fiction (Robert Laffont m’a donné la chance inouïe de préfacer en 2022 la réédition d’Hypérion, le chef-d’oeuvre de Dan Simmons), du fantastique (j’ai aussi préfacé pour Pocket la réédition de L’Échiquier du mal du même auteur : quel veinard je suis) ou, comme ici, de l’horreur. Et puis, le cinéma d’horreur n’est qu’un des nombreux thèmes abordés dans Un oeil dans la nuit. Il y a aussi l’amitié, la filiation, le complotisme, ou du moins une certaine forme de ce dernier…
Un mot sur Martin Servaz, confronté, dites-vous, à la plus grande énigme de sa carrière. En quoi est-ce le cas ?
Difficile de répondre à cette question sans trop en dire. Disons qu’au début du roman, pendant que Judith roule vers les montagnes à la rencontre du légendaire Morbus Delacroix, on trouve dans un hôpital psychiatrique toulousain un patient assassiné dans des circonstances
dignes d’un fi lm d’horreur, d’autres événements tout aussi spectaculaires vont suivre, qui tous semblent liés à l’existence d’un fi lm maudit, un film jamais sorti sur les écrans : Orpheus ou la Spirale du Mal, le dernier film qu’a tourné Delacroix. À côté de ça, il y a une sorte de « mystère de la chambre jaune » : un patient s’est évadé de ce même hôpital d’une manière totalement incompréhensible, impossible… Mais ce n’est pas tout. Servaz va affronter des épreuves de plus en plus terribles, jusqu’à l’horreur absolue… Et il va aussi se mettre constamment en danger. Et ce jusqu’à la toute dernière ligne !
La géographie, si importante dans vos ouvrages, réserve aussi des surprises. Vous n’hésitez pas cette fois à faire quelques infidélités à votre cher Sud-Ouest…
Oui, cette fois, l’enquête va mener Servaz et son adjoint Vincent Espérandieu de Toulouse à Paris (où ils vont croiser un autre personnage bien connu des amateurs de thrillers), à Étretat aussi, et il y a également plusieurs scènes qui se passent en Bretagne, sur un îlot au large des
Côtes-d’Armor, inspiré d’une petite île bien réelle avec son château, qui fait vraiment penser à L’Île noire de Tintin.
Savez-vous déjà quel sera votre prochain thriller ? Peut-on penser que Martin Servaz croisera prochainement l’attachante et intrépide Lucia ?
Je n’ai pas prévu de les faire se croiser pour l’instant. En revanche, Lucia va reprendre du service…