L’auteur britannique publie L’Héritage des espions, merveilleux livre d’un temps qui n’est plus. Grand fan de l’écrivain, Bernard Minier analyse l’oeuvre de son aîné dans L’Express du 18 avril 2018.
Voici un extrait de l’entretien signé Éric Libiot :
Les a priori sont détestables. Et toujours idiots. Exemple : imaginer Bernard Minier, auteur de polar grand format, grosse pagination, adapté en série télé (voir Glacé), en fan de John le Carré ne vient pas immédiatement à l’esprit. Et pas seulement fan, d’ailleurs, mais lecteur très attentif et analyste très pertinent de l’oeuvre du père de L’Espion qui venait du froid. De phrases en points-virgules, l’information est arrivée jusqu’aux oreilles de L’Express. Rendez-vous est donc pris dans les bureaux de l’éditeur de Bernard Minier, XO Éditions, au 47e étage de la tour Montparnasse. C’est dire la hauteur de vue. Conclusion : les a posteriori ont ceci de bénéfique qu’ils remettent les pendules à la bonne heure ; Bernard Minier connaît son le Carré au cordeau.
Coïncidence, les nouveaux romans des deux auteurs sont en librairie en ce moment. Bernard Minier publie Soeurs, où l’on retrouve son flic Martin Servaz enquêtant sur la mort de la femme d’un écrivain, qui lui rappelle furieusement un double meurtre datant de 1993, époque où il faisait ses premiers pas à la PJ de Toulouse. Toujours efficace. John le Carré, lui, sort L’Héritage des espions, où l’on retrouve quelques anciennes gloires de l’espionnite britannique, notamment Peter Guillam et Georges Smiley, ce héros faussement discret et ombreux de plusieurs romans. C’est un livre brillant qui avance en méandres et sur lequel flotte le parfum entêtant de la nostalgie. Suspense et humeur en douce.
Quel est le premier roman de John le Carré que vous ayez lu ?
Bernard Minier L’Espion qui venait du froid. Sorti dix ans plus tôt, découvert à la maison de la presse de mon village en Haute-Garonne. J’avais 13 ans. Ce qui m’a attiré, c’est le titre du livre et le nom de l’auteur. Le titre était intrigant, le nom évoquait une figure géométrique et sonnait français. J’étais capté. C’est une histoire habilement construite, une mécanique précise révélant une double tromperie. Ce qui m’a d’abord plu, c’est l’écriture à l’os. Factuelle. Froide. Beaucoup plus resserrée d’ailleurs que dans ses romans suivants, comme La Taupe ou Un pur espion. J’étais habitué à Ian Fleming et à James Bond et voilà que je me rendais compte que le monde de l’espionnage était gris et silencieux. Le livre est réaliste mais pas réel. Le Carré l’a dit : c’est une fiction. J’ai arrêté de le lire pendant deux ans parce que je ne trouvais plus ses ouvrages à la maison de la presse. Je le redécouvre avec La Taupe grâce à mon prof d’anglais qui voyait dans ce livre l’essence même de l’anglicité. La Taupe est très différent de L’Espion qui venait du froid ; il ne s’y passe quasiment rien. C’est extraordinaire de pouvoir raconter une histoire à partir de rien. Entre L’Espion qui venait du froid et La Taupe : le Carré est entré en littérature. Je l’ai lu jusqu’à La Constance du jardinier, je l’ai perdu de vue et je l’ai retrouvé.